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TRAVERSER LE CANAL DU PANAMA EN BATEAU

LE CANAL DU PANAMA ou « comment faire rentrer un éléphant dans une baignoire sans qu’il touche les bords » selon le capitaine de port du canal.

Le plus gros bateau qui soit passé, en 1945, n’avait guère que 15 cm de marge au point le plus étroit des écluses !

La construction de ce canal à écluses a été l’un des projets d’ingénierie les plus difficiles jamais entrepris, et je veux bien le croire, la traversée est vraiment impressionnante, surtout quand on est sur un petit bateau, au milieu de cargos énormissimes. Pas étonnant qu’il soit surnommé la « huitième merveille du monde ». On adhère ou pas à tout ce trafic (écologue, pollution, mondialisation…), mais on ne peut que saluer les prouesses techniques derrière.

Le canal consiste en deux lacs artificiels, plusieurs canaux améliorés et artificiels, et trois ensembles d’écluses. Un lac artificiel supplémentaire, le lac Alajuela, agit comme réservoir pour le canal.


Une étape à la marina à l’entrée du canal est nécessaire avant d’entreprendre la traversée du canal. Quelques formalités sont à prévoir… Celles-ci peuvent être déléguées à un agent spécialisé, ou pas, mais dans ce cas, s’armer de volonté et de patience ! Nous avons rencontré un super équipage à la marina qui a tout fait lui-même, en relevant le challenge haut la main. Dans tous les cas, il faut prévoir au moins cinq jours avant d’avoir l’autorisation de traverser et d’obtenir un créneau de passage.

Un technicien passe à la marina pour prendre les dimensions du bateau, afin de constituer des « groupes de bateaux », qui passeront ensemble dans chaque écluse. L’agent vérifie la composition de l’équipage, en plus du capitaine, il doit y avoir minimum 4 équipiers, si ce n’est pas le cas, il y a des « bonnes-âmes » qui se présentent d’elles même pour se faire la main ou juste vivre une expérience, ou bien des pro qui font le boulot pour 100$ chacun. L’agent s’assure que le bateau est équipé d’amarres aux bonnes dimensions, et de pare battages suffisamment robustes (pneus de défense qu’on met entre les bateaux pour éviter qu’ils se cognent).

Enfin, il faut payer la taxe, celle-ci est différente selon le type et la taille de bateau, celle de notre catamaran avoisinait les 2000$, sympa le péage ! Entre les taxes de passage et l’énergie que produit les barrages, le canal génère un chiffre d’affaires de 3,3 milliards de dollars par an, soit 45% du PIB du Panama.

Une fois toutes les formalités remplies, et après cinq jours d’attente, nous obtenons enfin un RDV pour le vendredi 27 mai à 16h00. Nous nous rendons à l’entrée de l’écluse avec les autres bateaux qui ont le même créneau. Nous sommes entourés de cargo, c’est déjà très impressionnant.  

Tout est bien huilé et rodé, chaque déplacement dans le canal est contrôlé, et guidé, avec un pilote dédié qui monte à bord de chaque bateau à l’entrée du canal et qui reste avec nous tout le long de la traversée, c’est obligatoire. Il ne touche pas les commandes du bateau, mais veille à ce que tout se passe bien et fait le lien avec les autorités du canal et les « handliners » dont nous verrons la fonction par la suite.

Rien n’est laissé au hasard, mais ce n’est pas étonnant, 15000 bateaux (plaisanciers, yacht privés, cargos…) empruntent ce canal chaque année, soit environ 40 par jour, il faut que ça glisse ! Le moindre pépin peut engendrer de graves conséquences.

Bref historique : 

Sous l’impulsion française de Ferdinand De Lesseps, un ingénieur français ayant déjà réalisé un exploit avec le canal de Suez, le canal interocéanique du Panama a commencé à prendre vie en 1880. A cette époque, cette région du Panama appartenait à la Colombie, a qui il a acheté les droits de succession grâce à une collecte de fonds géante à la bourse de Paris.

La construction des 80 km du canal a vite pris une mauvaise tournure. D’une part, la jungle étant infectée de moustiques, des milliers d’ouvriers ont perdu la vie, emportés par la fièvre jaune et la malaria. D’autre part, l’environnement était loin d’être favorable avec les montagnes, les rivières, les glissements de terrain, les inondations… financièrement cela a été un vrai chaos, à tel point que c’est considéré comme le plus gros scandale financier français du XXe siècle. F De Lesseps a été accusé de détournement de fonds et échappe de peu à la prison, il meurt quelques années plus tard. 

En 1903, l’indépendance du Panama est déclarée, avec l’appui du président Roosevelt, qui rachète la compagnie fondée par le F. De Lesseps. Les Etats Unis obtiennent les pleins droits sur le canal.

Les américains surmontent les problèmes sanitaires grâce à l’invention du vaccin contre la fièvre jaune, ce qui permet de reprendre les travaux jusqu’en 1914. Le canal permet d’accueillir alors des navires appelés « Panamax » de 295 mètres de long et 32 mètres de large, pouvant porter 4500 conteneurs.

Une anecdote intéressante (Extrait du site Rivages du monde) PHOTO CHAPEAU

En 1906, le président américain Théodore Roosevelt visite le chantier. Pour rendre hommage aux ouvriers, il arbore le même couvre-chef qu’eux, un chapeau souple et léger que l’on surnommera le « Panama Hat ». Ce chapeau traditionnel devient un symbole d’élégance et la mode se propage jusqu’à Paris. Oubliés les millions perdus et le scandale… partout on voit fleurir le petit chapeau tressé. Et c’est ainsi que Paris devient « Paname », la ville où il fallait porter un panama pour être élégant.

En 1977 une nationalisation du canal est signée entre le Panama et les Etats Unis, celle-ci prend effet en 1999. Malgré cela, il est indispensable de mettre le pavillon américain pour traverser et les bateaux américains ont la priorité, qu’est ce qu’ils peuvent être mégalo…

Afin de répondre aux nouveaux enjeux commerciaux, le Panama a à cœur d’élargir le canal pour rivaliser avec le canal de Suez. En 2016, après neuf ans de travaux pharaoniques, et plus de 8 milliards de dollars, de nouvelles écluses voient le jour. Des monstres de 366 mètres de long et 49 mètres de large, appelés les « post-panamax », pouvant porter jusqu’à 14000 conteneurs, peuvent maintenant rejoindre les deux océans à leur tour, en dix heures seulement !

La nuit commence à tomber, le pilote est là, l’équipage est excité, le capitaine est calme et habitué, nous sommes tous prêts à passer la première écluse. Nous suivons de près un énorme cargo, nous passons sous un premier pont gigantesque, puis nous rentrons au ralenti dans le premier ensemble d’écluses avec un autre voilier, les portes massives se referment derrière nous, après cinq mois de navigation sur l’océan Atlantique, quelle drôle de sensation… Notre cap’tain s’annonce avec son fameux sifflement qui résonne entre les murs des écluses, tout le monde le salue, ici il est connu comme le loup blanc ! 

Avant de fermer les portes des écluses, il s’agit d’attacher les petits bateaux entre eux d’une part et aux bords des écluses d’autre part.

Les petits bateaux sont reliés entre eux grâce à des amarres et resteront reliés pour passer l’ensemble des écluses jusqu’au lac intermédiaire. Le bateau le plus puissant allume le moteur et mène le deuxième voire le troisième bateau attaché(s). Ensuite, les handliners, situés de part et d’autre de l’écluse lancent des amarres à bâbord (gauche) du bateau le plus à gauche, et à tribord (droite) du bateau le plus à droite. Les handliners nous suivent à pied le long des écluses successives, au fur et à mesure que nous montons et que nous descendons. L’équipage sur le bateau et les handliners ajustent sans cesse la longueur des amarres afin que nous restions bien au milieu et que nous avancions bien droits, pour ne pas toucher les murs des écluses. C’est un beau travail d’équipe, il faut être ni trop lâche, ni trop tendu et ajuster les 4 amarres en même temps.

Quant aux cargos, ce sont les « mules », des petites locomotives de 55 tonnes qui maintiennent les navires centrés et qui les suivent sur des rails.

Nous attendons patiemment que l’eau monte, bien sagement derrière un énorme éléphant. A chaque passage, c’est 200.000 m3 d’eau qui montent ou qui descendent !

Une fois l’eau à hauteur de la deuxième écluse nous avançons, toujours guidés par les handliners et nous réitérons la manipulation. Je jette un œil derrière moi et je vois, les deux écluses et le pont illuminés, quel beau spectacle. 

Nous arrivons sur le lac de Gatun, créé par le barrage de Gatun. Ce lac est une zone d’attente pour passer le deuxième ensemble d’écluses, et produit de l’énergie hydroélectrique destinée au fonctionnement des écluses et à l’éclairage de toutes les villes alentours.

Dans notre cas, il servira également de zone de mouillage pour la nuit. Il fait très noir, le lac n’est pas éclairé, je ne vois rien à part d’autres cargos en attente également. Nous passerons le deuxième ensemble d’écluses le lendemain matin. Il est aussi possible de passer le canal en 10 heures, de jour, si on commence tôt le matin.

Le lendemain matin, je me réveille et j’observe notre environnement. Ce qui me surprend le plus, c’est le cri des singes depuis les arbres, mélangé à la vue des cargos, qui continuent de défiler devant nous. Il pleut, la visibilité est réduite. Notre ami voilier nous suit de près.

Au fur et à mesure que nous nous approchons du deuxième ensemble d’écluses, le soleil se lève, nous pouvons pleinement profiter du spectacle. Mêmes manipulations que la veille. Cette fois, nous sommes trois « petits » bateaux et nous sommes pris en sandwich entre notre ami voilier et un autre bateau de pêche. Les handliner nous lancent les amarres pour attacher les extrémités du sandwich. Cette fois, nous patientons que l’eau descende, sur 3 écluses successives. Juste avant la sortie, nous passons devant un musée, dont le dernier étage est destiné aux visiteurs de ce musée, ils nous observent passer. Sarah a réussi à leur faire faire une ola depuis le bateau, magique !

A la sortie du canal, quand on se détache, le challenge est de se dégager sans toucher les bords ni les autres bateaux. Notre ami voilier, qui n’avait qu’un seul petit moteur a eu du mal à lutter contre le courant que les portes de l’écluse ont généré à l’ouverture. Il était en travers, a touché notre catamaran à plusieurs reprises, heureusement bien protégé avec les pare battages. Petit stress vite résorbé ! 

Nous suivons sa trace, nous passons sous le pont des Amériques, le pilote repart. La ville de Panama City en vue à babord, le Pacifique nous attend les bras ouverts ! Yataaa

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