Samedi 17 septembre, un grand jour pour moi, je pars à l’aventure avec Yann, la vraie aventure !
Yann est un des volontaires de la finca, il est arrivé il y a deux mois. Il ne pensait rester qu’une semaine mais il a trouvé un bon endroit pour se recentrer, s’immerger dans la Nature et apprendre sur la forêt maya. Il a eu l’occasion de passer du temps avec Pulga et ses collègues, les garde-forestiers. Quand il est revenu de son dernier trek et qu’il m’a demandé si je voulais faire le prochain avec lui, je n’ai pas hésité une seconde. J’étais arrivée à la finca depuis trois jours déjà, et après avoir discuté avec Pulga, je n’avais qu’une envie, c’était de rentrer dans cette forêt maya et mieux la connaître.
J’avais d’abord pensé faire le trek de Danta, un trek de cinq jours pour aller au Mirador, voir la pyramide la plus grande du monde. Plusieurs personnes m’en avaient parlé, et ça me donnait envie de tenter. Quand Yann m’a proposé le trek du Zotz pour aller voir des ruines mayas, beaucoup moins touristiques que Tikal et surtout aller voir la sortie de milliers de chauve-souris au coucher du soleil, juste nous deux, sans guides, c’était évident que j’allais y aller avec lui. Danta serait pour plus tard ! Encore une excuse pour revenir au Guatemala.
Derniers préparatifs, Rigoberto affute ma machette, Pulga me briefe sur la vie dans la jungle et m’alerte sur le Chechen, un arbre qu’il ne faut pas toucher, sa sève acide brûle, Yann révise et valide mon sac, je suis prête !
On décolle de la finca Che’el, après un gros petit déjeuner en ce qui me concerne, il faut partir à l’aventure le ventre plein. Je soulève mon sac, trop lourd une fois de plus, même si j’ai pris que le nécessaire, à savoir deux tenues de jour, une de nuit, quatre paires de chaussettes, pour être sûre d’en avoir toujours une paire sèche, un hamac que m’a prêté Pulga, un sac de couchage, un oreiller gonflable et de quoi manger pendant cinq jours, le plus lourd en fait, au moins ça s’allégera au fur et à mesure ! J’ai une petite trousse de survie, avec quelques médocs de base et des bandages, puis quelques basiques de tout campeur, frontale, opinel et tongs.
Le menu était vite vu, on a pris des pâtes, du riz, de la purée de haricots rouges, un grand classique ici et de la sauce tomate en sachet. Pour le petit-déjeuner, comme à la maison, flocons d’avoine, céréales, et café. J’ai en plus mes petites amandes, mes graines de chia et j’ai pris quelques pommes, ça fait du poids mais elles ne s’écrasent pas au fond du sac.
Le dernier « ustesile » que j’ai, et dont je suis assez fière, c’est la machette de Pulga qu’il m’a prêtée, dans son bel étui en cuir. Pour couper du bois, frayer un chemin si nécessaire ou se défendre, j’espère ne pas l’avoir à l’utiliser dans le dernier cas. Règle de base, toujours l’avoir avec soi, même la nuit, même pour aller faire pipi, on ne sait jamais !
A El Remate, on fait les dernières courses puis on prend un premier stop jusqu’au village suivant, Ixlú (après 30 minutes d’attente… on n’était pas près d’arriver !). Un deuxième nous a vite emmenés jusqu’à Santa Elena, à l’autre extrémité du lac de Petén Itza. C’est une « grande » ville, comparée aux pueblos alentours, avec pas mal d’agitation et de traffic. Santa Elena est la seule entrée sur l’île de Flores, qui est une île assez touristique. Aucune envie de la traverser à pied, ni pour l’un ni pour l’autre, pas de trek urbain non merci, on veut se rendre à Cruce dos Aguadas pour un trek dans la jungle. On prend donc un tuk tuk, j’adore, ça me fait marrer, à Livingston déjà ça m’éclatait. Il nous a déposé à l’entrée de la route qui allait à San Andres, la dernière intersection avant notre destination finale.
On arrive à San Andres vers midi, Yann m’emmène dans un boui-boui qu’il connaissait, il s’y était déjà arrêté lors de son dernier passage, c’était une bonne adresse, un bon plat complet et un café pour trois euros. On a bien partagé avec la petite dame du restaurant, intriguée de voir deux étrangers chez elle, elle nous questionne pas mal, l’occasion de partager sur nos cultures.
Un dernier stop de San Andres à Cruce Dos Aguadas derrière un pick up avec des locaux nous fait bien marrer. Ça ne leur arrivait pas souvent de prendre avec eux deux blancs becs avec leur gros sac à dos. La route que nous empruntons est magnifique, les vallées sont vastes, vertes, à perte de vue. Je découvre peu à peu les vallées de la région de Petén, je suis très agréablement surprise. Ces paysages sont plutôt nouveaux pour moi, je suis contente de m’enfoncer peu à peu vers la forêt.
En descendant à Cruce dos Aguadas, on fait cinq cent mètres à pied en direction de l’entrée du parc de El Zotz, qui est à cinq kilomètres plus loin. En passant devant une maison, Yann me dit « Viens on va saluer des amis ». Manuel, est le papa d’un des garde-forestiers avec qui Yann a passé pas mal de temps à El Zotz.
La maison est très sommaire et très typique, faite en bois. La pièce principale a deux hamacs, une petite table en bois et quatre chaises, simple. Pas de sol, direct la Terre. Des escaliers qui mènent à une mezzanine, tremblent à chaque fois qu’un des enfants les dévalent. Une cuisine précaire, puis des poules un peu partout, comme il pourrait y avoir des chats ou des chiens. Des toilettes sèches au fond du jardin, accessibles en évitant le linge qui sèche sur les fils tendus en travers du chemin. Je n’étais pas dépaysée, j’avais pris l’habitude à Vuelbe Mujer et à la finca, c’est presque devenu une normalité, c’est drôle. Leurs filles et leurs cousines étaient d’anniversaire, et s’étaient mises sur leur trente et un. Dignes de demoiselles d’honneur, j’ai eu droit à un joli défilé.
On a discuté avec Manuel et Brenda (oui vraiment Brenda, ici ils pont pas mal de prénoms américains) qui tiennent un petit magasin collé à leur maison, si bien que depuis la pièce à vivre ils y accèdent directement.
Manuel, allongé dans son hamac, montre fièrement à Yann sa nouvelle machine à découper le bois. Un ami passe les voir et nous offre un Coca Cola, qu’il vient d’acheter auprès de Brenda. On discute tous ensemble et partageons un excellent moment. Une gorgée, puis Manuel reprend sa conversation, je suis en haleine. Il me fait voir une nouvelle facette du Guatemala, ou du moins de Petén, la région dans laquelle je me trouvais depuis deux semaines. Un Petén que j’ai vraiment découvert aujourd’hui et que je trouve magnifique mais surtout un Petén des narco trafiquants, de corruption, de tueurs à gage, de violence, de machisme. Très objectif sur les us et coutumes, et conscient de ses travers, il parle de son pays avec fierté. Je le comprends, je l’aime aussi son pays. C’était une conversation passionnante et très instructive. Tout ça aussi c’est le Guatemala.
Après ces échanges, on reprend la marche, cette fois c’est parti. Nous commençons gentiment avec les cinq premiers kilomètres pour rejoindre les garde-forestiers à l’entrée du parc El Zotz, au milieu de ces belles vallées. On a eu le temps de se prendre une belle averse, et d’arriver trempés. Ici ils sont six à vivre et restent pendant des gardes de quinze jours dans un campement qui existe depuis 1982, il est assez « complet », c’est très agréable mais ce soir c’est particulier, ils installent un nouveau panneau solaire qui leur permettra d’allumer la lumière dans plusieurs pièces et surtout charger plusieurs téléphones à la fois. Panneau solaire qu’ils se sont achetés eux-mêmes, ici le gouvernement les paye à peine alors pour ce qui est de leur acheter du matériel, tu peux repasser !
Je prends une douche (Un luxe ! A la finca il n’y en a même pas), je me change, j’installe mon hamac dans une des granges, j’accroche toute la nourriture en l’air (à cause des bêtes) … tout est prêt pour cette première nuit. Pendant que certains finissent d’installer le panneau solaire, je rejoins les autres pour « tortear », préparer les galettes de maïs avant de les faire cuire sur le feu. Je partage avec eux le fameux combo tortilla / haricots rouges.
Ils me proposent de charger mon téléphone, c’est génial, c’était impensable de ne pas avoir de batterie pour les photos et ne pas pouvoir écrire le soir. Je suis même la première à inaugurer l’installation. Quel honneur leur dis-je ! J’arrivais le jour même où ils avaient installé l’électricité, j’étais là première à me brancher. Incroyable, quand je sais combien il est rare par ici d’avoir de l’électricité, hors hôtels, restaurants et magasins, alors à l’entrée de la jungle, c’était royal.
Entre les chambres et la cuisine il y a un petit chemin d’une trentaine de mètres, mais à chaque fois que je l’emprunte, je tente d’éviter les crapauds, tout comme dans la cuisine, ils n’ont pas peur et viennent se mettre entre nos pattes, si bien qu’il faut les éviter pour traverser la pièce. Je grimace un peu en les évitant pour aller brancher mon téléphone, ce qui amuse les garde-forestiers. Mais pourquoi se mettent-ils en « plein milieu du pachiou » comme on dit chez moi !?? (En plein milieu du chemin). L’un d’entre eux m’explique qu’ils attendent que les moustiques se brûlent les ailes aux ampoules et tombent par terre, les crapauds servent d’aspirateur… c’est peut-être un phénomène connu du grand public, moi je l’ignorais complètement. Je savais qu’ils mangent des moustiques, mais naïvement je les imaginais sur des nénuphars à tirer la langue de temps en temps comme dans les Disney, je ne pensais pas qu’ils rentraient dans les maisons, se mettaient sous les ampoules, et attendaient plus ou moins patiemment en évitant nos pas…
Je leur demande si elles sont venimeuses, et la réponse est oui… si on les embête, elles crachent de « la leche » (du lait) depuis le haut des yeux, mais il n’y a pas de raison qu’il me dit… j’ai envie de le croire, ça n’arrivera pas. Sous mon hamac il y avait trois grenouilles tout à l’heure… si je me lève dans la nuit, je dois faire gaffe ou je mets mon pied ! J’écarte toute éventualité de me faire attaquer par un crapaud. Ça me rappelle trop une scène de Jurassic Park où un mec s’était fait asperger de liquide blanc visqueux par un genre de dinosaure grenouille qui avait l’air gentil au début… j’en ai froid dans le dos rien que de repenser à cette scène, mais en même temps, le mec l’avait bien mérité, alors ce n’était pas dommage pour lui.
Je pars m’asseoir devant ma « chambre », je les regarde de loin. Yann est content de les retrouver. C’est avec ce même groupe qu’il avait passé deux semaines, il est un peu comme chez lui ici. Je reprends mes notes (je n’ai toujours pas branché mon téléphone), les garde-forestiers sont encore en train de discuter, ils ont fini tard leur installation et ici il n’y aucune distraction, et jusqu’à aujourd’hui pas de lumière, ils passent toute leurs soirées ensemble. La scène est belle. Enfin, certains partent se coucher, et d’autres repartent à El Cruce. « Buenas noches Yann » j’entends. Il était devenu un de leur bande, ce gringo breton grand et mince, au milieu de ces mecs petits, mates de peau et bien en chair. Le contraste est frappant !
Gringo et gringa c’est notre surnom à tous les étrangers, si tu es « blanc » tu es un gringo d’office. Tu leur expliques que tu es française et pas des États Unis mais de un ils ne savent pas pour la majorité ou est la France et de deux c’est trop ancré en eux, alors va pour gringo.
2% de batterie, je me dirige vers la cuisine, il faut vraiment que j’aille brancher mon téléphone. Merde un crapaud, argh, ne sursaute pas, ça ne sert à rien. Ça charge, incroyable.
Je n’ai encore jamais dormi une nuit entière dans un hamac, mais celui-là il est de compétition, il est fait avec la même toile que les parachutes militaires, il est costaud, assez grand, moustiquaire intégrée, bâche pour la pluie. Avec l’oreiller gonflable, je passe une bonne nuit, je suis assez surprise.
Au petit matin, j’enfile le teeshirt à manches longues que m’a prêté Pulga, je suis assez fière de porter la tenue officielle d’un garde-forestier, ça me donne des forces ! On petit déjeune avec l’équipe, on s’inscrit sur le registre, en précisant qu’on fait un aller/retour au Zotz.
On commence par quatorze kilomètres, soit trois heures de marche sur un chemin assez large pour qu’un 4*4 puisse passer. Je suis d’abord étonnée de voir des arbres pas très hauts, et des sous-bois assez dégagés (cela n’allait pas durer). On a la chance de voir sur le chemin des singes, des lémuriens, des araignées, et un petit serpent. Les moustiques sont eux aussi de la partie, dès qu’on s’arrête une minute, ils nous assaillent.
Une belle première marche jusqu’au campement de El Zotz, ou on fait connaissance de deux nouveaux garde-forestiers, Henri, 20 ans, et Mateo, 55 ans. On s’installe manger avec eux, le feu était prêt, on en profite ! On part installer hamac et tente avant que la pluie n’arrive, heureusement il y a un toit dont on peut profiter dehors, pas besoin de sortir la bâche cette fois. Il y aussi une petite « maison » qui permet à quelques randonneurs de dormir, mais vu l’état des deux petits lits, personne ne doit vouloir s’y aventurer… des trous dans le matelas laissent imaginer quelles sortes de petites (ou grosses ?) bêtes se sont nichées là-dedans. Quand je vois la taille des cafards ici, ça fait froid dans le dos, on est mieux dehors, sans aucun doute. Ça nous a valu une bonne rigolade, sympa le « AirBnB » que Yann avait réservé, on n’était pas déçus.
Les nuages qu’on voyait au loin sont finalement arrivés, une énorme pluie tropicale s’abat sur nous. Patients, nous nous installons à la table principale pour admirer le spectacle. Je commence à réaliser que je suis au milieu de la jungle. L’aventure se serait arrêtée là que cela n’aurait pas été dommage, j’en avais déjà pris plein les yeux. Le soleil revient un peu nous voir en fin d’après midi, on monte au Mirador à dix, quinze minutes de marche au-dessus du campement.
En arrivant sur le mirador, qui venait d’être construit (encore une fois on a eu beaucoup de chance qu’il soit terminé), je prends une énorme claque, le paysage est captivant, un océan vert à perte de vue, j’en ai les larmes aux yeux. Je m’assoie et profite pleinement de la vue. Le soleil se couche petit à petit, laissant dégager de belles couleurs derrière les nuages à l’horizon. Une brume s’échappe peu à peu de la cime des arbres, on s’amuse à chercher les singes, ils sont bruyants et vite repérables. Deux d’entre eux sont venus se percher juste en dessous de nous, ils doivent certainement attendre le spectacle, comme nous deux.
18h05, on entend un cri d’oiseau, assez fort, comme un top départ, des milliers de chauve-souris sortent des falaises. C’était incroyable et à la fois irréel. Elles sont toutes sorties en même temps puis se sont dispatchées dans toute la forêt. Deux minutes de démonstration de ce que la Nature peut donner. Comme un feu d’artifice, c’est toujours trop court… On redescend au campement se faire à manger. Première nuit enfin dans la jungle, je dors comme un bébé.
Pas de sac à refaire ni à porter cette fois, on reste à El Zotz visiter les ruines « El Diablo ». Elles sont encore enterrées, on ne les voit pas, sauf quelques portes de tombes, les sentiers sont peu dégagés, on se sent presque comme des explorateurs avec nos machettes. La pluie tombe, on se fait des parapluies à la mode maya. On y passe finalement quelques heures, on passe partout, on s’imagine ce qu’était la vie ici, il y a 1500 ans.
Au retour, bien crevés d’avoir crapahutés, on se rêve une soirée calme comme la veille, mais….. une vingtaine de jeunes étaient arrivés pendant la journée au campement et s’étaient installés. Nooooooooon, même ici on n’arrive pas à être seuls ! Là pour le coup ce n’était quand même pas de chance. Ils étaient en voyage scolaire. Nous on va à la forêt d’Iraty, eux à El Zotz, un autre niveau de classe verte ! Avec Yann, on était raccord, on avait pas du tout envie de passer la soirée avec eux, non merci, trop de bruit, ils étaient au demeurant forts sympathiques. On va voir les garde-forestiers pour leur demander si on peut squatter avec eux. Très gentiment, ils m’aident à installer mon hamac dans leur grange. Yann lui a droit à un lit resté vacant, c’était top, même s’il n’avait pas de moustiquaire (finalement le matin, il avoue avoir été réveillé toute la nuit le pauvre).
Ce soir-là, il est prévu d’aller voir les chauves-souris une nouvelle fois, mais depuis le bas de la falaise cette fois.
Ne sachant pas ou se mettre pour bien les voir, on se rend aux pieds des falaises. J’imaginais des pierres tomber sur nos têtes en même temps que les chauves-souris sortaient de leur trou. Le sol était instable, mes pieds s’enfonçaient dans le sable, l’endroit ne m’inspirait pas confiance, La meilleure option était de repartir au point de vue principal, on savait que cela impliquait de rester avec une vingtaine de personnes, mais pas le choix, demi-tour.
La nuit commençait à tomber et les premières chauves-souris partaient en éclaireuses. Sur le petit bout de chemin que nous avons repris, c’était assez impressionnant, elles nous passaient tout autour, devant, derrière, au-dessus, c’est ce qu’a préféré Yann. Elles étaient partout et nous évitaient à toute allure grâce à leur écho. C’est vrai que c’était assez impressionnant, heureusement je savais que celles-ci étaient inoffensives.
Au Guatemala, 95 espèces ont été dénombrées, soit 9% des espèces du monde entier. Elles ont une mauvaise réputation, mais se nourrissent principalement d’insectes (58% des espèces du Guatemala), de fruits (24%), de pollen et nectar de fleurs (11%), de petits vertébrés (3%), de poissons (2%), et oui, de sang (2%). Les chauves-souris participent elles aussi à la restauration naturelle des forêts en transportant avec elles les graines sur de longues distances pendant leur vol et régulent le taux d’insectes. L’espèce qu’il faut éviter ce sont les chauve-souris vampires, il y en a deux sortes au Guatemala, la vampire commun et la vampire aux pates velues, qui s’alimente de sang de bovin et dans des cas extrêmes, de sang humain, et elles peuvent transmettre la rage.
J’étais d’abord soulée d’être avec du monde, surtout qu’ils n’arrêtaient pas de parler, mais on a vite engagé la conversation avec eux et c’était intéressant de parler avec eux. Ils étaient en voyage scolaire, ils faisaient partie d’une « école écologique »… c’est quoi ça ? Une école pour la préservation des forêts. Quels débouchés ? Conservation des forêts, régulation de la consommation de bois, garde-forestiers… les débouchés sont nombreux.
18h05, comme la veille, elles sont ponctuelles, les milliers de chauve-souris sortent d’une multitude de trous de la falaise et passent au-dessus de nos têtes. C’était assez impressionnant mais j’ai préféré les voir depuis en haut. En bas au milieu des arbres, on ne se rend pas trop compte de l’ampleur du phénomène.
Affamés, nous rentrons nous cuisiner un bon festin avec des pâtes, de la purée de haricots rouges en tube (!) et des avocats que les garde-forestiers nous avaient donné le matin même.
A cet endroit, c’était vraiment un festin pour nous ! Nous sommes heureux, ça se voit sur le visage de Yann…
Après discussion avec les garde-forestiers, on fait le point sur notre forme physique et notre stock de nourriture. Tous les feux sont au vert, on décide de changer la route et poursuivre vers Tikal au lieu de faire l’aller-retour. Il restait vingt-cinq kilomètres pour arriver à Tikal, soit huit heures de marche, c’est trop long, et on n’était pas pressés, on passerait donc une nuit de plus à El Yesal, un campement à quinze kilomètres avant Tikal. J’étais trop excitée de faire le Maya Trek en entier. Je m’endors, en pensant que je suis dans un endroit improbable, perchée dans mon hamac.
J’ai bien dormi, le hamac n’était pas tendu comme d’habitude, j’ai tardé à trouver ma position, mais le matin je me suis levée de travers avec le bras au-dessus de la tête, la jambe pendue, je m’y fais bien je crois haha. Je petit déjeune avec Henri et Mateo. Yann a fait une petite grasse matinée, en l’attendant, j’ai pas mal discuté avec Mateo, ça fait 36 ans qu’il travaille dans la protection et l’entretien de la forêt maya, dans une organisation gouvernementale.
« Aqui se te va la vida » me confie-t-il (ici la vie te file entre les doigts). Cela fait quelques années qu’il est affecté à El Zotz, je ne sais plus combien exactement. Ce campement est à quatorze kilomètres du campement des garde-forestiers à l’entrée du parc, ils ne voient personne. Ils sont généralement deux mais il arrive parfois qu’ils soient seuls. Leurs gardes durent vingt-deux jours puis ils ont dix jours de repos. Le gouvernement ne leur paye pas leur tenue, ni leur nourriture, ils doivent se l’emmener au début de leur garde, et n’ont pas ou peu de ravitaillement, et surtout pas de frigo, le menu est le même, matin, midi et soir: Tortillas de maïs, qu’ils sont font eux de A à Z, frijol (haricots rouges), et aguacate (avocat) du jardin. Mateo attendait son petit cousin avec impatience, il arrivait plus tard dans la matinée pour lui apporter des courses en moto. Ici, on ne passe pas boire le thé et rendre visite tous les 4 matins.
Contrairement aux us et coutumes locales, il n’a pas de femme ni d’enfants, par choix. Il a passé sa jeunesse à boire des bières et le jour où il s’est rendu compte que ça ne lui apportait rien, il s’est engagé comme garde-forestier. Ça fait 36 ans qu’il protège et entretien la jungle maya et ne gagne que 71 quetzals par jour (soit un peu moins de dix euros).
Yann émerge et nous rejoint. Il nous interrompt avec un cri, il s’est brûlé la main en se servant le café (j’ai trouvé plus maladroit que moi !). Le temps de refroidir sa main et faire un bandage, avec du chichipin, l’herbe magique locale contre les piqûres et brûlures, on part finalement à 9h00, avec un objectif à 8h, on a un peu trainé… mais nous n’étions pas pressés, il n’y avait que dix kilomètres à faire jusqu’au prochain campement El Yesal.
Le chemin se fermait de plus en plus, il n’y avait plus qu’une voie pour une seule personne. Là je réalisais vraiment que je marchais dans la jungle, dans cet océan vert que j’avais admiré des heures durant depuis le mirador de El Zotz la veille et l’avant-veille.
Dans la jungle et avec le sac, les distances paraissent plus longues que la réalité. Il y a des mares énormes, la boue colle aux chaussures, j’ai l’impression de me traîner des boulets à chaque pied. On doit zigzaguer sur plusieurs dizaines de mètres et parfois sortir du chemin principal pour emprunter les « chemins secondaires » ouverts par les garde-forestiers. Certains de ces chemins ont encore été peu empruntés et il est parfois difficile de passer. On nous avait annoncé trois heures de marche pour les dix kilomètres, on l’a fait en deux heures trente. Les deux pauses de cinq minutes étaient improlongeables tant les moustiques t’attaquent dès que tu ralentis le rythme, ça te fait devenir fou !
On arrive au campement de El Yesal en fin de matinée, au milieu de nulle part. Première des choses, on allume le feu. Il avait beaucoup plu la veille et tout le bois que nous avons trouvé était humide, à deux et à tour de rôle pour entretenir le feu, ça nous a pris une bonne heure pour enfin cuire nos pâtes. On apprend la patience, mais je peux dire que j’ai mangé une des meilleures pâtes à la sauce tomate et oignons de ma vie, ici en plein milieu de la jungle après une heure de bataille avec un feu capricieux. C’était exquis. On avait chacun une grande tortilla que nous ont donné le matin les garde-forestiers du campement, avec un peu de frijol. Miaaammmmm.
Notre linge sèche, il sera sec demain matin, ou pas…
Il est encore tôt, je me réjouis de passer l’après-midi au campement, prendre le temps de tout, et surtout se laver, installer son campement avant la nuit, j’en avais marre de me doucher de nuit, et mettre mon hamac dans le noir.
J’avais remarqué pendant le déjeuner que j’avais une tique sur la jambe, la première de ma vie, quelle horreur, je pars me laver et me faire une inspection plus poussée. Je remplis mon seau d’eau de pluie, et je vais me cacher derrière la citerne. Toute nue, en plein milieu de la jungle, je me sentais comme une saucisse sur pattes, prête à me faire dévorer (l’imagination va vite en besogne ici). Bon apparemment c’était la seule tique, ouf.
J’enfile mon jogging, et on se lance dans un documentaire sur Guatemala, la Terre Maya. Au fond de la jungle, à quinze kilomètres de Tikal, la capitale de l’empire maya, j’étais captivée. J’étais exactement là où les images étaient tournées, ça m’a donné des frissons.
Timing parfait, juste au générique on entend les élèves arriver, ils sont partis plus tard après avoir visité les principales ruines de El Zotz. Ça me sort de ma rêverie, je m’active pour aller accrocher le hamac. J’inspecte les lieux pour trouver la bonne place, pas trop loin mais pas trop près des jeunes, pas trop d’insectes sur les arbres, ni de chenilles banches poilues (avec des poils de deux centimètres, celles-ci tu n’as pas envie qu’elles se faufilent dans ton duvet !), je trouve les arbres parfaits. Yann monte sa tente juste à côté, nous sommes les deux en version pluie cette fois, on a laissé l’abri aux jeunes.
Bêtement, on a laissé le feu s’éteindre pendant que nous regardions le documentaire, les jeunes luttent eux aussi pour le rallumer, au passage je suis rassurée, nous n’étions pas les seuls à galérer. Une fois l’exploit réussi, on cuisine avec eux. Ça fait plaisir à voir, ils sont vraiment « démerde » ces jeunes. Je suis même admirative, une des filles du groupe a cuit une centaine de tortillas pour tout le groupe, elle y a passé la soirée.
A la fin de la soirée, la pluie reprend de plus belle, je ne suis pas super motivée de dormir sous ce déluge, je vais décrocher rapido mon hamac pour le réinstaller au milieu des jeunes. Cette quatrième et dernière nuit a été la moins bonne. D’abord m’endormir au milieu de l’agitation a été compliqué puis à 5h30 ils étaient déjà en train de préparer des tortillas pour le petit déjeuner. L’agitation autour de mon hamac m’a tirée de mon sommeil.
Je m’inquiète de Yann, était-il noyé dans sa tente ? Non, il a finalement passé une bonne nuit lui.
Les jeunes sont partis à 7h00, bien trop tôt pour nous, nous avions à peine pris notre café. Ils partent vers Tikal avec le guide, les chevaux qui portaient leurs affaires repartent vers El Zotz avec un autre guide.
Yann n’avait presque plus de batterie, moi plus du tout. Avec cette pluie, nous n’avions pas pu recharger nos téléphones avec le chargeur solaire de Yann… mince ! On partait pour les quinze derniers kilomètres apparemment les moins faciles, sans batterie, ni GPS. Pas de problème, nous sommes confiants !
Dès les premières minutes de marche, nous sommes plongés dans un univers digne d’un film, ça ressemble plus à un parcours du combattant qu’à un chemin de rando. Les chemins sont maintenant très étroits, parfois même inexistants. Les arbres sont en travers des chemins, on doit passer en dessous, au dessus, éviter les lianes.
On passe à côté de laguna (grandes mares) remplies de grenouilles, ça fait un boucan impressionnant, à cause de la pluie, on doit traverser à pied des petits cours d’eau, l’eau est marron, on voit rien à travers… Yann ne veut pas mouiller les chaussures, il se met pieds nus, moi c’est hors de question ! Je préfère avoir les pieds mouillés que de marcher sur un truc non identifié donc peut être nocif !
On arrive ensuite devant une petite rivière, sans aucun autre chemin disponible, il fallait bien passer par là. On ne réfléchit pas, on se lance, tout en essayant de garder l’équilibre pour ne pas finir entier dans l’eau. Cette portion est la plus difficile, les chemins sont complètement inondés, nous n’avons plus de batterie pour checker la route, on avance, confiants mais concentrés. Cette fois Yann a abandonné, lui aussi a mis les pieds dans l’eau jusqu’aux genoux, on n’avait pas vraiment le choix.
Dès qu’un rayon de soleil arrive à traverser la cime des arbres, on s’arrête, Yann sort son panneau solaire pour recharger un peu son téléphone, à coup de 1%, on arrive quand même à checker notre position toutes les heures et faire quelques photos.
J’en profite à chaque fois pour prendre le temps de contempler mon environnement. Je pense que Yann a fait la meilleure vidéo de nous, les pieds dans l’eau en train de chercher notre chemin, au milieu des arbres. Quand je la revois maintenant je me rends compte de l’aventure que c’était.
Finalement, après quatre heures de marche, les chemins commencent à s’élargir de nouveau, Tikal !! Nous y voilà ! We did it ! On monte au somment du temple IV tout au nord du site pour une photo immortalisant le moment, nous étions bien heureux !
Ça c’était avant de se faire rouspéter par les gardes à la sortie du parc de Tikal, ils nous ont mis un peu furax. Selon eux, nous n’aurions pas dû partir sans guide (n’importe quoi), et ils insistent pour que nous payions l’accès au site de Tikal, même si c’est que pour le traverser et sortir de la zone protégée. Nous avions déjà payé à l’entrée de El Zotz, je n’avais pas envie de payer pour sortir voyons… !! Refusant de payer, ils ont écrit un rapport, je ne sais pas dans quelles mains il est aujourd’hui mais tout compte fait, nous avons fini par aller à une autre entrée à 10 km de là pour acheter des billets. Tout est bon pour sortir de l’argent aux touristes, en plus à Tikal, l’entrée est chère ! 25€ pour juste sortir de là sérieux, je n’étais pas contente. Enfin bon, c’est un détail.
Je suis sortie de ma zone de confort, je n’aurai jamais pensé pouvoir faire un truc pareil, mais c’est dans ces moments-là que tu te connais encore mieux. Merci Yann de m’avoir fait confiance et m’avoir emmenée vivre cette aventure. J’ai plus que jamais senti la connexion à la forêt. Nous n’avons pas vu de jaguar malheureusement, nous espérions secrètement l’un et l’autre en apercevoir, mais peut-être avons-nous été observés qui sait… Au campement de El Yesal, on a bien senti que nous n’étions pas seuls, il y avait une présence, des animaux, mais lesquels… ? Je préfère ne pas savoir, ça laisse mon imagination faire des siennes.
Arrivés à El Remate, une bonne bière.
La bière. Celle que tu dégustes et que tu mérites !
Je suis prête pour le Mirador de Danta !
Merci Yann pour ce beau cadeau.